Projet à la Une – « Prévention multilingue en santé »

 

INTERVIEW : JUILLET 2022

 

Cet été, nous avons rencontré Bénédicte Lessko, de l’asbl Le Monde des Possibles. Elle est chargée du projet Afya, un projet de prévention multilingue en santé qui bénéficie du soutien de la Wallonie dans le cadre des Stratégies concertées Covid. Elle nous a parlé de sa formation en santé pour les interprètes, mais aussi des enjeux auxquels cela répond pour améliorer l’accueil et le soin des personnes de langue étrangère.

 

Sur quoi travaille votre association ?


Bénédicte Lessko : « Le Monde des Possibles est une association qui offre une formation français-langues étrangères, une formation numérique, un service social, et qui fait du plaidoyer. Elle dispose aussi d’un pôle d’interprètes en milieu social, à qui on propose également des formations. C’est là qu’intervient notre projet. »


Qu’est-ce qui vous a donné l’impulsion pour ce projet ?


Bénédicte Lessko : « C’est l’appel à projets des Stratégies concertées Covid, auquel nous avons répondu. Nous avions remarqué que nos interprètes en milieu social ont une formation un peu trop légère au niveau médical. J’ai moi-même une formation médicale, donc cela m’interpelait. »


Pourquoi est-il nécessaire que les interprètes soient formés dans le domaine de la santé ?


Bénédicte Lessko : « Depuis deux ou trois ans, les demandes d’interprètes augmentent de façon exponentielle. Ils sont souvent appelés dans différents hôpitaux, des centres de santé mentale, des centres de la Croix-Rouge… 70 % des prestations se font en santé, et principalement en santé mentale. Or, la plupart d’entre eux n’ont aucune formation en santé et cela les intéresse énormément. »


Que viennent apprendre les interprètes dans vos formations ?


Bénédicte Lessko : « D’abord, il y a tout l’aspect du vocabulaire. Pour traduire correctement l’intensité d’une douleur, d’une souffrance, il faut connaître des mots qui parlent des émotions par exemple. Les émotions sont d’ailleurs une notion transversale tout au long de la formation.


J’accorde beaucoup d’importance au fait de trouver le mot juste dans leur langue d’interprétation et de se mettre d’accord ensemble. C’est pourquoi j’essaie de rassembler dans la même session des personnes qui partagent la même langue d’interprétation. Ils passent parfois un peu de temps à discuter afin de se mettre d’accord sur la meilleure traduction d’un mot.


Ils viennent aussi apprendre à ne pas tourner autour du pot, à utiliser les mots tels qu’ils sont pour ne pas freiner une thérapie. Ils apprennent que, par exemple, il ne faut pas nécessairement essayer d’éviter les mots qui font mal ou éviter d’entrer dans les blessures, ou qu’il ne faut pas encourager le fait que le patient se sente victime… toutes ces notions qui sont très importantes pour que l’interprète adopte une attitude juste. Le patient a déjà lui-même des difficultés pour aborder des thèmes comme l’homosexualité ou les mutilations génitales. Alors pour que la thérapie soit fluide, l’interprète doit être au clair avec les mots, familiarisé avec ces notions un peu difficiles, un peu douloureuses.


Et il doit avoir déjà entendu les grands thèmes qu’il va croiser pendant ses interprétations. La formation en santé permet aussi à l’interprète de bien comprendre ce qu’il traduit. Pour qu’il puisse adopter une posture intéressante, il faut qu’il comprenne ce qui se passe, ce qui se trame dans une psychothérapie par exemple.


Nous avons d’ailleurs invité des psychologues pour nous parler des grands concepts en santé mentale, de l’hospitalité… L’association L’Autre Lieu, qui travaille sur la psychiatrie alternative, est aussi venue nous parler de l’histoire de la folie à travers l’art. C’est vraiment très intéressant et très interpellant, et cela m’a permis de parler de la folie et de tout ce continuum entre la souffrance mentale, les troubles mentaux, les maladies mentales … donc d’aborder des questions qu’ils vont rencontrer tout le temps en prestation. »


En formation, vous abordez également la Covid, les gestes-barrière, etc. ?


Bénédicte Lessko : « Les gestes-barrière, je ne les ai pas repris dans la formation. J’estime que tout le monde les connaît. Par contre, ce que les gens expriment, c’est qu’il y a plein de choses qu’ils n’ont pas comprises ou qu’ils souhaitent approfondir : comment marche un vaccin, l’ARN messager, l’immunité collective, les virus qui mutent…
Certains étaient aussi très sensibles à des théories du complot qui ont circulé. Donc on a abordé ces questions-là concernant la Covid. Et puis ils ont le plus souvent traversé la crise de façon très douloureuse, et avaient besoin de l’exprimer. Cela nous a donné l’occasion de beaucoup parler des émotions. »

 

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